Nouvelle loi européenne sur la déforestation : Opportunités et défis

par Fairtrade Lëtzebuerg · 

L’Union Européenne (UE) représente près de 10 % de la déforestation mondiale via la consommation de certains produits. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 10 millions d’hectares de forêts sont toujours perdus chaque année en moyenne Chaque minute, nous perdons des forêts à un rythme équivalent à 27 terrains de football.

En Afrique de l’Ouest, ce sont des milliers et des milliers d’hectares de forêts qui disparaissent au profit de l’extension des aires de cultures du cacao. La déforestation et la dégradation des forêts sont des facteurs important du réchauffement climatique et de la perte de la biodiversité. Cette déforestation massive est souvent liée à des violations des droits humains et environnementaux.

Le Règlement européen sur la déforestation

Après d’intenses négociations, un accord politique a été trouvé au niveau européen sur un nouveau règlement établissant des règles afin de réduire la contribution de l’UE à la déforestation et la dégradation des forêts dans le monde.

Le nouveau règlement garantira aux consommateurs de l’UE que les produits qu’ils achètent ne sont pas associés à la déforestation et à la dégradation des forêts. La loi s’applique aux produits suivants : bétail, cacao, café, huile de palme, soja, bois et l’hévéa. Cela inclut également certains produits dérivés, tels que le cuir, le chocolat, le beurre de cacao, les meubles, le charbon de bois, les produits en papier imprimé et un certain nombre de dérivés de l’huile de palme.

En vertu du règlement, l’importation et l’exportation de l’un de ces produits associés à des terres déboisées après le 31 décembre 2020 seront interdites dans l’UE. Les entreprises qui exportent les produits ou qui les importent devront appliquer un devoir de diligence afin de s’assurer que leurs produits ne sont pas associés à la déforestation ou à la dégradation des forêts. Les déclarations de « Due Diligence » qui devront être délivrées par les entreprises lors de l’importation des produits agiront comme l’équivalent d’un « passeport d’entrée » sur le marché européen. En cas de violation du nouveau règlement, il est prévu une série d’options de sanctions possibles, pouvant inclure des amendes, la confiscation des produits, la confiscation des revenus et/ou la disqualification des processus d’approvisionnement.

Chaque pays membre devra nommer l’autorité nationale compétente pour effectuer les contrôles.

Avancement et lacunes

Le mouvement Fairtrade International dont est membre l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg salue l'initiative historique que constitue la mise en place d'un cadre législatif européen ambitieux visant à interdire certains produits issus de la déforestation - un pas en avant vers une résolution de la double crise de la biodiversité et du changement climatique.

Pour s'attaquer au problème complexe de la déforestation, et notamment à ses causes profondes, il faut toutefois que la législation européenne accorde une plus grande attention aux acteurs concernés. Les petits producteurs sont des éléments clés de certaines des chaînes d'approvisionnement qui seront couvertes par le règlement de l'UE et constituent l'épine dorsale de l'économie de nombreux pays partenaires.

Par exemple, il est estimé que jusqu'à 90 % de la production mondiale de cacao dépend d'environ 5 millions de producteurs et que 73 % de la production mondiale de café est assurée par 12 millions de producteurs de moins de 5 hectares. Leurs réalités doivent être prises en compte.

Les petits producteurs seront confrontés à des exigences accrues en matière de durabilité pour conserver l'accès aux marchés européens alors qu'ils ne bénéficient actuellement d'aucun soutien financier ni d'incitations économiques appropriées pour répondre à ces exigences.

Pour garantir une transition équitable vers des pratiques agricoles durables et exemptes de déforestation, il faut pouvoir garantir les moyens de subsistance producteurs et des communautés locales. En septembre, par l'adoption de son rapport, le Parlement européen avait fait un grand pas dans cette direction en renforçant la proposition législative de la Commission de plusieurs manières. Aujourd'hui, nous regrettons de constater que certains de ces éléments n'ont pas trouvé leur place dans le texte final du règlement. Parmi eux, il y avait une obligation claire pour les entreprises de soutenir la mise en conformité des producteurs en déployant des efforts raisonnables pour s'assurer qu'un prix équitable leur est payé afin de permettre un revenu vital et de lutter efficacement contre la pauvreté en tant qu’une des causes sous-jacentes de la déforestation.

Cela est très regrettable car dans les secteurs où la majorité de la production repose sur des petits producteurs comme le cacao et le café, l'augmentation des revenus devrait en réalité être considérée comme une condition préalable aux changements structurels nécessaires, en permettant aux agriculteurs de sortir de la pauvreté et d'investir dans des pratiques agricoles plus durables, qui respectent les limites planétaires. Si les petits producteurs ne sont pas en mesure de couvrir les coûts de production et manquent d'épargne pour des investissements supplémentaires sur leurs terres, la transition vers un secteur agricole résilient et sans déforestation risque d’être hors de portée. Tant que cet angle mort ne sera pas rectifié, les petits producteurs se verront piégés dans des réalités économiques où l'expansion de leurs terres par la déforestation et la dégradation des forêts est la seule solution économiquement viable qui reste à leur disposition pour assurer leurs moyens de subsistance.

Nous appelons les décideurs politiques à considérer, dans les prochaines législations et notamment lors de l’élaboration de la directive « Corporate sustainability due diligence », le revenu vital et les pratiques d’achats des entreprises comme des pièces essentielles du puzzle pour que les changements structurels nécessaires aient lieu.

Il est maintenant essentiel de veiller à ce que les coûts de mise en conformité avec les nouvelles exigences de durabilité du Règlement sur la déforestation soient répartis équitablement entre les acteurs de la chaîne d'approvisionnement, en fonction de leurs capacités respectives et de concevoir des mesures de soutien adaptées pour permettre aux producteurs et coopératives de se conformer notamment aux exigences de géolocalisation pour éviter leur exclusion du marché européen.

La Commission européenne doit commencer de toute urgence à travailler sur une évaluation approfondie des besoins en étroite collaboration avec les pays producteurs, les organisations de la société civile locale et les représentants des producteurs, afin d'identifier et de comprendre les lacunes existantes en matière de conformité et de décider des actions collectives nécessaires pour combler ces dernières.

Enfin, conformément aux demandes du mouvement Fairtrade et de ses partenaires, le texte final convenu engage la Commission européenne à élaborer un cadre stratégique global de l'UE sur l'engagement avec les pays producteurs. Il s'agit d'un élément clé pour inverser l'approche descendante adoptée jusqu'à présent dans la manière dont la proposition a été élaborée et communiquée aux pays producteurs - une étape essentielle pour régénérer la confiance, susciter une plus grande acceptation et une volonté de coopérer afin de permettre une mise en œuvre réussie du règlement. Nous devons maintenant nous assurer que la Commission respecte cet engagement, que, dans le cadre de ces processus, une représentation et une participation complètes et efficaces des parties prenantes locales concernées (organisations de la société civile, petits exploitants, communautés locales et populations autochtones) soit assurée et qu'elle accorde une attention particulière à leurs besoins en matière de mise en conformité ainsi qu'aux facteurs sous-jacents de la déforestation.

Nous ne devons pas considérer ce texte comme un résultat final, mais plutôt comme un point de départ pour travailler conjointement avec les pays producteurs afin de relever de manière inclusive le défi commun de la déforestation.

Appel du réseau de producteurs Fairtrade Africa

C’est également le point de vue du réseau des producteurs de Fairtrade Africa qui apprécie les efforts déployés pour lutter efficacement contre la déforestation. Cependant, selon eux, ladite législation ne constitue qu’une étape dans la lutte contre la déforestation et qu’il y a un certain nombre d’actions qui devront être mises en place par la suite. Fairtrade Africa pense que pour garantir une meilleur application de la législation, il faudra impliquer davantage les producteurs dans le processus et obtenir de l’industrie qu’elle contribue à couvrir les coûts de mise en conformité des organisations de producteurs avec la législation. Enfin, Fairtrade Africa déplore que la législation n’ait pas finalement reconnu le revenu vital comme un droit humain et ne l’ait pas intégré dans la législation.

Le mouvement Fairtrade a de son côté déjà mis en place des critères stricts notamment au niveau du standard Cacao, pour lutter contre la déforestation que les organisations de producteurs sont tenues de respecter.